
ESCLAVAGE, mémoires normandes
Fortunes et servitudes
Du XVIe au XIXe siècle, plus de 12 millions d’Africains sont déportés vers le continent américain pour satisfaire le développement d’une économie qui s’organise entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique. La « loi Taubira » du 21 mai 2001, reconnaît officiellement la traite et l’esclavage comme crime contre l’humanité. Depuis 2006, une « Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions » commémore le 10 mai cette page d’histoire douloureuse.
Port majeur du trafic maritime des XVIIIe et XIXe siècles, le Havre a joué un rôle important dans le commerce triangulaire, intégrant le trafic d’hommes, de femmes et d’enfants achetés en Afrique de l’ouest et revendus majoritairement sur le continent américain, plus particulièrement aux Antilles. Cette histoire est à ce jour bien documentée par les travaux des historiens bien que les bombardements de septembre 1944 ont fait disparaître de l’espace public l’essentiel des traces matérielles de ce négoce.
Depuis plusieurs années, le service des Archives Municipales, les Musées d’Art et d’Histoire et la bibliothèque municipale participent activement aux actions de médiation et développent une politique d’acquisition en lien avec la mémoire de l’esclavage et de la traite.
Présentation de l'exposition
La prochaine étape du travail mémoriel est une exposition d’ampleur régionale, présentée simultanément au Havre, à Rouen et à Honfleur et reconnue Exposition d'intérêt national.
Ouverte du 10 mai 2023 au 10 novembre 2023, cette exposition aura pour vocation de montrer la participation des Normands et du territoire de la Normandie à la traite des Noirs et à l’esclavage au cours des XVIIIe et XIXe siècles.
L’exposition sera présentée sur trois sites par les trois collectivités associées : Réunion des Musées Métropolitains de Rouen (Corderie Valois), Musée Eugène Boudin (Honfleur), Musées d’Art et d’Histoire du Havre (Hôtel Dubocage de Bléville). Chacun des parcours d’exposition comprendra un tronc commun réunissant des documents d’archives, des objets et des œuvres des musées normands, mais aussi des œuvres empruntées mettant en exergue :
- la Normandie, son contexte économique, industriel et commercial, ses acteurs maritimes (armateurs, capitaines) ;
- les différentes étapes de la traite : capture, vente, déportation des esclaves de l’Afrique aux Antilles, travail dans les plantations ;
- l’évolution des mentalités et les différentes abolitions (1794 et 1848) ;
- la mémoire.
La richesse de cette exposition proviendra du traitement spécialisé de chaque site qui offrira un regard différent en fonction des villes. Le site d’Honfleur présentera plus particulièrement la dimension maritime. Le site de Rouen s’attardera sur les aspects économiques et industriels de la production de pacotille, le financement des armements. Le site du Havre traitera pour sa part, de la question des protagonistes impliqués (équipages, armateurs, propriétaires de plantations, sociétés de commerce, abolitionnistes, présence noire au Havre…).
Esclavage mémoires normandes, le projet havrais
Au Havre, l’exposition investira l’intégralité du musée de l’hôtel Dubocage de Bléville situé quartier Saint François, au 1 rue Jérôme Bellarmato : 200m² d’espaces d’exposition, 7 salles (dont 3 espaces de plus de 50m² spécialement réaménagés pour l’exposition). La configuration particulière (deux bâtiments réunis par une cour) et la valeur patrimoniale du lieu, ses contraintes et ses atouts, soutiendront le parcours et la scénographie.
Comme à Rouen et à Honfleur l’exposition sera indépendante des deux autres mais conçue en complémentarité, de manière à pouvoir être comprise individuellement et à s’intégrer dans un circuit régional élargissant le propos. Elle apportera aux publics non renseignés et/ou aux visiteurs exclusivement havrais des repères essentiels. Ils leur permettront d’une part de comprendre les enjeux, les motivations, les mécanismes du « commerce triangulaire », de la traite des Noirs et de l’esclavage, et d’autre part de découvrir l’implication de la Normandie dans ce système économique et commercial fondé sur l’exploitation de l’être humain.
Au Havre, l’exposition traitera plus particulièrement du sujet à travers le prisme des protagonistes ou des acteurs concernés : victimes, sociétés de commerce, armateurs, équipages, propriétaires.
Le parcours s’articulera en 8 étapes :
Des côtes d’Afrique jusqu’au Havre, l’exposition, évoquera le parcours des personnes déportées et mises en esclavage, et l’organisation du système économique et commercial de la traite atlantique.
- Contexte historique : Des explorations portugaises à l’essor de la traite atlantique en Normandie et au Havre en particulier, cette introduction rappellera les motivations financières à l’origine du développement de la traite atlantique.
- Afrique : Pour replacer les personnes déportées au cœur du propos, une première partie illustrera les réalités géographiques, matérielles, politiques et culturelles des territoires africains concernés par la traite normande. Les modalités de la traite en Afrique, notamment avec des négriers locaux, seront aussi évoquées.
- Le « voyage » de traite et le processus de déshumanisation initié pendant la traversée, seront ensuite présentés. Seront développés également le navire, l’arrachement aux territoires d’origine, les conditions de transport ainsi que les actes de résistance en mer. La vie de l’équipage, les modalités de navigation, les trajets, constitueront un second volet.
- La condition d’esclave dans les exploitations agricoles aux Antilles, est abordée dans l’espace suivant. On y montre l’organisation du travail forcé dans les « habitations », les rapports maîtres-esclaves et les stratégies de résistance des victimes.
- Le monde du négoce en France, au Havre en particulier sera traité ensuite. C’est dans cette même salle que sera étudiée la structuration du système économique de la traite atlantique favorisé par l’Etat, de l’armement des navires à la commercialisation des marchandises importées.
- Les bénéficiaires multiples : petits investisseurs, commerçants, industriels, ouvriers, artisans, consommateurs…, complèteront le panorama et montreront les ancrages multiples du système économique fondé sur la traite, l’esclavage et sur la production de denrées coloniales.
- Présence Noire au Havre, Révolutions et Abolitions : Encore mal connue, la question de la présence au Havre de personnes originaires d’Afrique ou nées aux Antilles sera illustrée à partir de quelques exemples précis. Elle montrera que le fait esclavagiste ne pouvait pas être ignoré par les habitants du port. Les débats havrais, défavorables ou favorables à l’abolition, avant, puis pendant les Révolutions (en France et à Saint- Domingue) seront restitués en continuité.
- La représentation de personnes d’origine africaine aux XVIIIe et XIXe siècles sera abordée dans un dernier espace, notamment à travers les illustrations de Paul et Virginie du Havrais Bernardin de Saint-Pierre.